Tesalys, société toulousaine spécialisée dans le traitement des déchets bio-contaminés, la désinfection et la stérilisation réalisant 50% de son chiffre d’affaires en Asie, est en première ligne depuis le déclenchement de la crise du coronavirus. Miquel Lozano, son Président, nous en parle et nous livre sa vision de l’entrepreneuriat.
Miquel Lozano, quel est en quelques mots votre parcours professionnel ?
Avant la création de Tesalys, j’avais cumulé plus de 25 ans d’expérience dans des sociétés du domaine de la prévention de la contamination et du contrôle de l’infection dans les hôpitaux, laboratoires et industries pharmaceutiques.
Originaire de Barcelone, j’ai commencé à travailler à 16 ans comme coursier chez Matachana, entreprise familiale fabriquant des stérilisateurs. En parallèle, j’ai passé mon baccalauréat et je suivais des cours du soir en sciences économiques à l’Université de Barcelone.
Cette société dynamique se développait rapidement et j’ai eu l’opportunité de progresser et d’avoir de plus en plus de responsabilités au sein de l’équipe Export, grâce notamment à mon attrait par les langues et l’activité commerciale.
En 1992, je suis venu en France pour créer la filiale française et en prendre la direction. Comme je n’avais pas pu terminer mes études supérieures, j’ai complété ma formation à l’ESC Toulouse (aujourd’hui TBS) avec le Master « Métier Dirigeant ». C’est lors de cette formation que j’ai rencontré Jean-Michel Rodriguez, un de mes associés actuels au sein de Tesalys.
Ayant décidé de continuer ma carrière en France, j’ai intégré la société Lancer à Tournefeuille, fabricante de systèmes de lavage et désinfection appartenant au groupe Getinge. Je me suis occupé tout d’abord du développement des ventes à l’international pour Lancer, puis de la direction de la filiale du groupe Getinge en Europe du Sud.
C’est en 2012 que j’ai décidé de me lancer dans l’aventure de la création d’entreprise avec Jean-Michel Rodriguez, en cherchant une société à reprendre dans le domaine médical à laquelle nous pourrions apporter notre expertise à l’international. Une personne dans le réseau de BIOMED Alliance m’a mise en relation avec Patrick et Emmanuel Hengl qui lançaient un projet de machine de traitement des déchets infectieux. Nous avons tout de suite adhéré au projet et nous nous sommes associés au sein de Tesalys. Après 18 mois de R&D pour mettre au point le STERIPLUSTM40, nous avons démarré la commercialisation et obtenu nos premières ventes en 2014, ce qui nous a permis de lancer la production industrielle.
Où sont situés les sites de production de Tesalys ? Combien avez-vous de salariés ?
Notre établissement principal est à St. Jean (31). Nous avons démarré la production en partenariat avec une entreprise adaptée située en région toulousaine, employant des travailleurs handicapés. En 2016, nous avons racheté une société suisse concurrente qui produisait en Allemagne et depuis 2019, grâce à une levée de fonds de 6 millions d’euro nous avons pu élargir nos capacités de production à Saint Jean, sur un site de 1500 m2 où nous assemblons les nouveaux modèles de notre gamme. Tesalys emploie 20 salariés directs et 10 salariés indirects.
Pourquoi avez-vous rapatrié l’assemblage de vos machines à Toulouse ?
L’assemblage est une étape importante dans le process de fabrication de nos machines et maintenant que l’entreprise est mature, avoir la main sur cette étape permet d’augmenter et de valoriser notre savoir-faire, réduire les coûts en capitalisant sur ce qu’on sait faire, optimiser les process et redessiner la machine pour faire des économies d’échelle et augmenter notre marge.
Qu’est-ce qui vous distingue de vos concurrents ?
La concurrence propose des systèmes industriels encombrants, nos machines sont peu volumineuses, ergonomiques et faciles d’utilisation : Nous nous distinguons par l’innovation, la modernité et design.
Quels sont les mots-clés qui caractérisent votre entreprise ?
C’est notre maîtrise et notre expertise du commerce à l’international : nos machines sont présentes dans plus de 60 pays et nous avons une centaine de distributeurs partout dans le monde.
Quelle est la répartition de vos parts de marché ?
Nous avons eu nos premiers contrats au Moyen-Orient et en 2016 avec la chute du prix du baril de pétrole et le ralentissement sur ce marché, nous avons cherché à diversifier nos ventes en prospectant en Asie.
Aujourd’hui nous réalisons 50% de notre chiffre d’affaires en Asie du Sud-Est, 25% au Moyen-Orient et en Afrique, le reste en Europe et Amérique Latine. Cette répartition est due au fait que nos machines conviennent très bien aux pays avec peu d’infrastructure du traitement des déchets ou il n’y a ni usines d’incinération ni sociétés de collecte. Notre produit est donc très pertinent pour ces marchés puisqu’il permet de traiter les risques liés aux déchets à risque infectieux sur place et répondre à un problème de santé publique.
Y a-t-il des difficultés particulières à travailler avec des pays hors Europe et Amérique ?
Oui, à cause d’absence de règlementation homogène par exemple en Asie ou le ministère de la santé de chaque pays édite sa propre règlementation. De plus, nous devons aussi respecter les réglementations environnementales puisque nous gérons des déchets et devons garantir de la non-pollution des produits issus du traitement.
Il faut donc appréhender ces marchés selon un angle règlementaire et s’adapter à chacun. Mais ce sont aussi les différences culturelles dans les affaires qu’il faut prendre en compte ; par exemple la notion du temps n’est pas la même, le mot « tomorrow » ne veut pas dire la même chose aux Etats-Unis qu’aux Philippines !
Quelle est votre actualité ?
Le covid-19, qui induit la multiplication des déchets d’EPI (ndr : Equipements de Protections Individuelles) et mobilise toute la filière.
Nous avons réagi vite face à ce besoin et à cette crise et avons créé un programme validé scientifiquement et spécialement pensé pour ce type de virus. Ce programme est une option sur nos machines et qui peut aussi être upgradé sur les machines préexistantes.
(ndr : Voir aussi notre article à ce propos ici).
Quelles est la plus belle réussite de votre entreprise/entrepreneuriat ?
Sans doute la première grosse commande de la société, dont le contrat a été signé un 23 décembre : alors que j’étais en vacances en famille, je me suis rendu à Istanbul pour signer ce contrat d’environ 1 million d’euro afin d’équiper des centres médicaux en Irak au moment de la reconstruction du pays. Cette commande a signé le vrai démarrage de la société, ce qui l’a impulsé.
Avec mes associés, nous sommes très fiers du chemin parcouru : être partis d’une idée et être maintenant devenus une belle petite PME industrielle, avec 20 collaborateurs fidèles et exceptionnels, et qui vend ses produits dans 60 pays est une vraie satisfaction. Mais nous n’avons jamais l’impression d’être arrivés à maturité, nous avons encore plein de projets de développement pour l’avenir.
Avec le recul y-a-t ’il des choses que vous feriez différemment dans votre parcours entrepreneurial ?
Non, je n’ai pas de regrets. A une époque j’ai regretté de ne pas avoir terminé mes études, mais cela ne m’a pas empêché d’entreprendre et de continuer à me former en langues et au métier de dirigeant lorsque j’en ai eu besoin. Je suis même devenu enseignant universitaire puisque j’interviens dans le cadre du Master Commerce International à l’Université Toulouse Jean Jaurès…. Je n’ai donc pas de regret, il n’y pas de bonnes ou de mauvaises décisions. On prend des décisions, on les assume et la vie continue. C’est tout.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes entrepreneurs/entreprises ?
Y croire, mettre de l’énergie, ne pas hésiter à s’entourer. J’ai la chance d’avoir deux associés, le troisième étant parti à la retraite, c’est une richesse : nous ne sommes pas toujours d’accord mais nous sommes dans l’écoute et le compromis.
A chaque étape nous avons su prendre des conseils auprès de personnes extérieures afin de monter en compétences ou d’apporter des compétences manquantes à notre projet.
Même un visionnaire ou un génie, si à un certain moment il ne prend pas conseil auprès d’un expert sur un sujet particulier, il ne réussira pas de la même manière.
Par exemple, pour produire nos machines nous avons trouvé dans le réseau de BIOMED Alliance un consultant externe, Stéphane Cauneille. Il nous a apporté son expertise pour industrialiser nos machines, il est resté avec nous et il est maintenant responsable de la production et achats.
Quels est votre prochain challenge ?
C’est la pénétration des marchés français européens et d’Amérique du Nord. Dans ces pays où il existe des circuits de collecte et d’incinération à grande échelle, le traitement sur site n’est pas suffisamment développé.
L’expérience du covid-19 va peut-être permettre de comprendre qu’il existe d’autres façons de traiter les déchets à risque infectieux : Pour une grosse quantité de DASRI (NDR : Déchets de Soins à Risques Infectieux) venant du CHU de Rangueil, par exemple, la collecte a un sens mais pourquoi un établissement de santé en Ariège ferait-elle venir un véhicule depuis Toulouse pour enlever un ou quelques cartons de DASRI et les ramener à l’incinérateur au Mirail alors qu’il peut avoir une solution de traitement directement sur site ? C’est tout l’enjeu d’avoir une vision « multimodale » : Nous ne sommes pas forcément concurrents des incinérateurs, nous sommes une solution complémentaire qui a aussi sa place dans nos pays industrialisés.
Comment allez-vous réussir ce challenge ?
Nous continuons le travail avec les distributeurs pour développer notre présence dans l’ensemble de pays. Nous travaillons aussi avec des organisations comme ISWA (International Solid Waste Association) ou l’OMS ou les organismes comme l’AFNOR pour faire connaitre notre technologie plus largement. Pour le moment, nous gérons l’activité avec l’équipe export basée à Toulouse mais nous n’excluons pas d’ouvrir des antennes exports dans les pays à fort potentiel pour avoir une présence directe. Nous avons aussi renforcé notre présence en France avec un commercial dédié.
Les principaux obstacles restent le changement des mentalités, convaincre les législateurs, les établissements de santé et les laboratoires que le traitement des déchets infectieux sur site comporte des avantages importants sur la maîtrise du risque et un impact positif sur l’environnement.
Claire Toutin
BIOMED Alliance
Source : https://www.biomedalliance.fr/linterview-adherent-focus-tesalys/